jeudi 17 février 2011

Qu’est-ce qui fait donc courir Ibrahima Moktar Sarr ?

Le leader de l’AJD/MR M. Ibrahima Moktar Sarr vient de sauter à pied joints dans le plat de la cohabitation des nationalités mauritaniennes à travers le très sensible débat de la place des langues nationales. Participant à une conférence-débat organisée par les partis de la Majorité présidentielle en Mauritanie, Ibrahima Moctar Sarr surprend l’auditoire en s’exprimant en langue poular. Il n’en fallait pas plus pour secouer la fibre nationaliste à fleur de peau de certains mauritaniens qui, passés la torpeur et l’effet de surprise, relancent le très passionné débat qui divise le pays. Ibrahima Sarr qui est plus connu pour ses talents d’homme de culture que d’acteur politique a bien calculé son coup : en parlant dans une langue reconnue par la Constitution comme langue nationale en même temps que le Hassaniya, le Soninké et le Wolof, il se défait d’un piège souvent tendu par les nationalistes arabes, à savoir l’accusation de défendre une langue étrangère de surcroit celle du colonisateur au détriment de l’Arabe, langue du coran. On se souvient qu'en mars 2010, presqu'un an jour pour jour, le premier ministre Ould Laghdaf et la ministre de la Culture Cissé Mint Boyda avaient défrayé la chronique et provoqué des manifestations de protestation des mauritaniens francophones suite à des déclarations provocatrices tendant à minimiser le rôle et la place du français, langue abusivement identifiée comme celle des négro-africains (de nombreux arabes de Mauritanie scolarisent leurs enfants en français et pratiquent cette langue mieux que l’arabe). Prémonition : le journaliste par qui le scandale était arrivé –Khalilou Diagana avait interpellé le Premier ministre au sujet de la difficulté que certains avaient à accéder au discours en arabe- s'était posé une question : Qu’aurait-dit le premier ministre si nous l’avions interpellé en wolof ? L'acte posé par Ibrahima Moctar Sarr oblige pour une fois, les mauritaniens à discuter sans faux-semblant ni hypocrisie : quelle place revient à chacune des langues qui se côtoient en Mauritanie ? Khalilou Diagana a aujourd’hui une partie de la réponse à sa question avec cette sortie de Ibrahima Sarr qui n’en est pas à son premier coup d’éclat.
Un dangereux provocateur ?
Du temps où il était député pour le compte de AC, ses interventions à l’Assemblée Nationale de même que celles de Messaoud Ould Boulkheir au sujet du « passif humanitaire » (évocation pudique des crimes commis sous la dictature de Ould Taya entre 1989 et 1991) furent la raison principale invoquée par les autorités pour justifier la dissolution du parti Action pour le Changement.
Ibrahima Moctar Sarr récidivera plus tard en demandant la révision du nom et des symboles de la République (hymne national, devise…). Ses positions jugées sectaires par certaines franges nationalistes arabes lui vaudront l’inimitié de certaines formations de la majorité présidentielle qui surfent sur la vague de l’unité nationale pour demander la dissolution du parti AJD/MR. Ce qui est d’ailleurs souvent reproché à Ibrahima Moctar Sarr c’est le fait de se « spécialiser » dans les questions de droit de l’homme et la question nationale alors que d’autres sujets nationaux auraient mérité autant d’intérêt de la part d’un homme politique d’envergure nationale.
Les limites de l’homme.
Ibrahima Moctar Sarr qui s’est forgé une dimension de leader national et de porte drapeau de la communauté noire depuis l’élection présidentielle de 2007, a pour principal mérite de matérialiser la diversité du peuplement et du leadership politique en Mauritanie. Il est sur le terrain et partage les souffrances de ceux qu’il défend, s’exposant aux humiliations et aux vexations quotidiennes. Mais il traine aussi des lacunes en ce sens qu’il ne parvient pas à transformer l’essai en fédérant les courants et mouvements qui poursuivent le même idéal. Décrit comme un homme pouvant s’emporter facilement, Ibrahima Sarr, de l’avis de ses connaisseurs, aurait encore du chemin à parcourir pour habiter le rôle de leader et en porter le costume. Le coup d’Etat militaire perpétré par le Général Ould Abdel Aziz contre Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, seul civil démocratiquement élu dans l’histoire de la Mauritanie, restera longtemps comme un boulet au pied du leader de l’AJD/MR. Il s’est contenté de « prendre acte » d’une atteinte aussi grave à la Constitution de la République. La pilule eut du mal à passer. De même, le départ d’une partie des cadres du parti consécutivement aux débats qui ont suivi ledit putsch a été perçu comme un signe de faiblesse de la part d’un parti qui n’a pas réussi à déployer les efforts nécessaires pour garder l’équipe soudée à travers un compromis salutaire (un mauvais compromis vaut mieux qu’un…).
En outre, nombreux sont ceux qui attendent que Ibrahima Moctar Sarr parvienne à trouver le moyen de rassembler les forces qui sont sur le même bout de l’échiquier politique que lui pour mettre un terme aux dispersions mortelles (FLAM, PLEJ, HARATINES, défenseurs de l’égalité et de la justice de quelque couleur qu’ils soient).
Dans le même ordre d’idée, Ibrahima Moctar Sarr est perçu comme étant plus homme de culture que leader politique. Il lui faudra apprendre à se dédoubler ou à ranger provisoirement dans l’armoire son caftan d’homme de culture pour arborer le costume de leader politique s’il veut éviter de brouiller le message. C’est à ce prix-là qu’Ibrahima Moctar Sarr pourra ensuite se positionner comme un vrai leader d’envergure nationale.
Ce qui lui fait sauver la face cependant, c’est qu’il a eu le mérite de refuser par deux fois au moins de rejoindre un gouvernement sans un programme politique clairement défini. Le procès de celui qui va à la soupe ne peut donc lui être fait. Et comme dirait Mandela – à qui Ibrahima Moctar Sarr vient de consacrer des CDs- «celui qui est au centre dune lutte politique, qui doit répondre à des problèmes pratiques pressants sans avoir le temps de la réflexion et alors qu'aucun précédent ne peut le guider, celui-là est amené à faire nombreuses erreurs. Mais avec le temps, et pour peu qu'il soit souple d'esprit et disposé à examiner son travail avec un œil critique, il finit par acquérir l'expérience nécessaire, par devenir assez prévoyant pour éviter les embûches ordinaires et maintenir le cap dans le tumulte des événements».
En attendant, les observateurs avisés de la scène politique lui donnent acte de ce qu’il pimente les événements en posant le doigt sur la plaie. Le temps aidant, les mauritaniens retiendront peut-être plus ses contributions au débat que ses erreurs de parcours, car sur une chose au moins l’homme met tout le monde d’accord : il a des convictions bien ancrées et en paie le prix. Reste une question lancinante : Mais au juste, que disait-il dans son discours en poular ?
Poullori Galo vigilent.


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