vendredi 20 mai 2011

FLAM, les hommes qui peuvent compter: Ibiraahiima Abu Sal


Il faudrait que tous les véritables nationalistes mauritaniens (Noirs et Arabo-berbères), épris de paix, de justice et soucieux de voir instaurer une Unité Nationale véritable, acceptent de s'unir afin que tous ensembles combattent pour la suppression de ce système raciste, chauvin, aussi pernicieux que l'Apartheid. (extrait du Manifeste du negromauritanien opprimé).

Il y a des hommes qui marquent de façon indélébile l'histoire à laquelle ils prennent part. En bien ou en mal, c’est une autre histoire. Il y a des choses que nul ne saurait dénier à Ibiraahiima Sall.
En premier lieu arrive sa qualité d'historien qui a beaucoup fait avancer la recherche sur l'histoire du Fuuta. Partout ailleurs qu’en Mauritanie, un historien de sa dimension aurait fait bien meilleure carrière et aurait le respect et la notoriété dus à son niveau. Les amoureux de l'histoire du Fuuto lui doivent notamment des articles très détaillés et la publication d’un ouvrage de référence, La Mauritanie du Sud, conquêtes et administration coloniales françaises 1890-1945 (Paris, Karthala 2007) que toute bibliothèque qui se respecte devrait acquérir et que Poullori recommande particulièrement. Après cet ouvrage, plus personne ne pourra raconter tout et n’importe quoi sur l’histoire de la Mauritanie du Sud.
Sur le plan de l’engagement politique, Ibiraahiima Abu Sall a fait preuve d’un don de soi dont peu de militants peuvent se prévaloir. Il n’a pas compté en dépensant ses ressources. Il a tellement apporté à la lutte pour l'égalité en Mauritanie notamment dans les FLAM que sa vie et sa personne se confondent avec l'histoire de ce mouvement. Avec Ly Jibril, Abou Bakri Kalidou, Ibrahima Moctar Sarr, Mortoudo Diop, Samba Thiam, Saidou Kane… il fait partie des figures de proue, des emblèmes et des icones de la lutte des noirs de Mauritanie.
Par ailleurs, l'un des documents les plus importants, si ce n'est le document fondateur des FLAM, le Manifeste, porte sa marque. Le ton du document et, plus généralement, de la littérature du mouvement empruntent largement aux thèses et au vocabulaire propres à l'historien Ibiraahiima Abu Sal : responsabilité de la France dans la configuration politique actuelle de la Mauritanie, laquelle responsabilité remonte, selon lui, aux premières heures de la colonisation quand la puissance coloniale choisit deux types d'administrations, de régimes, de statuts selon que l'on soit au Sud ou dans le Trab el Bidhan. Sa marque transparait aussi dans cette idée d'existence d'un système, le Système Bidhan (SB) dont la raison d'être serait la recherche exclusive de l’affirmation de la domination des maures sur la Mauritanie et qui serait un prolongement de la logique posée par le colonisateur.
Peu de gens savent enfin qu’il est le principal concepteur du drapeau des FLAM qui traduit un véritable désir de rassembler et d’unir. Sa foi en ce combat ne souffre aucune contestation. Ibiraahiima est donc incontestablement une pierre précieuse. Sa connaissance profonde des dangers qui menacent les intérêts des noirs de Mauritanie de même que leurs ennemis dans le camp d’en face en font une pièce irremplaçable. S’il y en a un qui ne va pas quitter le navire, c’est bien celui-là.
Mais la pierre précieuse qu’est Ibiraahiima Abu Sal est à l’état brut. Elle nécessite donc un petit travail d’orfèvre. Car Ibiraahiima Abu Sal est la preuve vivante du fait qu’on peut défendre une cause juste, en être convaincu de toutes ses forces et tout compromettre par le manque d’ouverture, de flexibilité et l’usage de moyens inadéquats. Ibiraahiima Sal a en effet fait preuve d’une trop grande intransigeance et d’une étroitesse d’esprit qui surprennent de la part d’un historien et d’un homme de conviction de sa trempe.
C’est que quand Ibiraahiima Abu Sal pense être dans son bon droit, il sait y aller fort, trop fort même. Comme quand une plume solitaire prend la responsabilité, horresco referens, de glisser dans le texte final du Manifeste un passage apocryphe sur l’attitude à avoir envers la France et ceux qui convoitent les terres agricoles de la Vallée du fleuve Sénégal (passage édulcoré en 1988 et qu’on retrouve dans la version publiée par Garba Diallo en 1991).
Mais l’historien aime témoigner et livrer le fond de sa pensée. Heureusement doit-on dire, quand par exemple sa plume nous livre, avec un sens impitoyable du détail, la trame de ce que vivent les détenus de la prison civile de Nouakchott puis de Oualata. Et bien souvent, le cœur du lecteur oscille entre la nécessité de témoigner et l’opportunité de tout dévoiler. Comme au sujet de ces passages sur Ten Youssouf Guèye pendant la détention. Le mythe de l’auteur de Rella ou les voies de l’honneur en prend un coup. Même si le lecteur est en même temps directement plongé dans le quotidien des détenus dont aucun détail ne lui échappe. Témoignage poignant pour que nul ne puisse rien en ignorer.
Comment, par ailleurs, IAS peut-il rester insensible au désastre que constitue le chapelet de départs qu’enregistre l’Organisation depuis sa création, le plus souvent avec son implication directe ou indirecte ? De feu Saidou Kane à Oumar Moussa Ba en passant par tous ces jeunes cadres qui ont tant donné aux FLAM l'ombre d'Ibiraahiima Abu Sal n’est jamais loin quand une rupture point à l'horizon. Comment peut-on construire en excluant, surtout quand ce qu’il s’agit de construire est une œuvre commune à tout un peuple ? Comment courir le risque d’affaiblir La cause, juste pour pouvoir faire valoir Sa façon de voir ? Sa vérité ? A quoi sert-il de contrôler un mouvement si on doit le faire sans toutes les forces utiles à la réalisation des objectifs essentiels ? Avoir raison, avoir le droit avec soi et avoir foi en ce qu’on fait ne suffisent pour vaincre. Encore faut-il savoir rassembler toutes les forces pour y aller, comme y invite ce passage du Manifeste cité en accroche.
Ibiraahiima doit se débarrasser de ce démon qui siège en lui et qui le prive de toute lucidité dans l’action politique malgré ses qualités intellectuelles et son engagement sans faille. Il doit également se défaire du marquage de cette bande de talibés (talibans) qui l’emprisonnent dans cette radicalité haineuse et qui, au mieux, ne peut lui être utile que pour tout ce qui est opérationnel. Il sait ne pas pouvoir compter sur elle pour tout ce qui est stratégique. Le temps de l’insulte et de l’invective on peut mettre en avant certains des éléments les plus zélés. Mais quand arrive l’heure de la réflexion et de la tactique plus fine, il faut sortir ceux qui manient le scalpel à la place du marteau-piqueur.
Ibiraahiima Abu Sal vaut mieux que ça et mérite plus que cette prison mentale dans laquelle il se laisse enfermer. Beaucoup se demandent comment un homme aussi cultivé, aussi averti aussi instruit a-t-il pu se laisser aller à un pareil isolement social ? Il ne serre par exemple plus la main de certains anciens militants de l’Organisation, traite d’autres avec mépris en employant des termes déplacés à leur endroit… Pour un homme qui doit servir de référence à un groupe composé presque exclusivement de musulmans et de fuutankoobe qui accordent un sens important à la sociabilité, la mission est quasi impossible d’entrée de jeu.
On pourrait mettre cette attitude sur le compte des traumatismes vécus dans les prisons d’Ould Taya. Mais Ibiraahiima n’a pas été le seul à vivre cette expérience. D'autres ont traversé les mêmes épreuves sans se transformer en êtres asociaux.
Toujours est-il que l’homme aurait pu jouer un rôle plus important dans la lutte si sa personnalité ne lui jouait des tours. Ses contributions resteront indispensables à la lutte même si on peut espérer qu'elles soient mieux orientées. Sa principale force réside dans le contrôle presque exclusif qu’il exerce sur la section Europe, notamment sa mainmise sur la France.
Mais Ibiraahiima Abu Sal reste suffisamment lucide pour comprendre que prendre le contrôle du mouvement au moment où il faut rassembler et revenir à l’esprit qui a prévalu au moment de la fusion qui a fait naitre les FLAM serait une faute politique et une catastrophe stratégique majeures. Et La Cause dont il est indéniablement imprégné risque de ne plus s'en relever. Il reste d’ailleurs très peu probable qu’Ibiraahiima, à l'aise dans les coulisses, puisse courir le risque de s’exposer autant en assumant le risque de la mort clinique des FLAM. Sa candidature semble peu probable car il est impensable qu'Ibiraahiima Abu Sal n’en mesure pas l'incongruité compte tenu de tout ce qui a été écrit plus haut. A la place, des rumeurs persistantes font état de la possible candidature de Cheikh Oumar Bâ comme joker placé par IAS.
Quoiqu’il en soit, la tendance à laquelle se réduisent, presque de fait, les FLAM aujourd’hui, restera forte et jouera un rôle prépondérant au sein de l’équipe qui sortira de ce congrès. Il serait bien que quelques bonnes volontés aillent trouver Ibiraahiima pour lui demander de tenir compte du fait qu’aujourd’hui, tous les yeux sont rivés sur lui parce qu’il est l’espoir de toute une cause et qu’à ce titre il se doit de faire un effort sur lui, d’opérer un renversement de perspective en se mettant à la place de ses contradicteurs, même s’il pense être dans le vrai. Il lui faudra aussi faire sienne cette critique du Manifeste au sujet des mauritaniens noirs qui se réfugiaient dans «le carriérisme, et de plus en plus, l'exil dans les organismes internationaux [ou dans l’exil tout court](ce qui est à la mode)».
Le combat n’a pas les moyens de se payer le luxe de la dispersion des forces. Ibiraahiima doit être ce fédérateur, ce sage qui indiquera le chemin du rassemblement. Parce qu’on a beau dire, on a beau faire, Ibiraahiima Abu Sal restera l'une de ces poutres centrales qu'il n'a jamais cessé d'être pour les FLAM et la lutte pour l'égalité en Mauritanie. Et ce sacrifice mérite plus que l'indulgence et l’effort de le prendre dans sa globalité, avec ses défauts et ses qualités.

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